Maison d’arrêt du Mans, juin 2019
Ils étaient une vingtaine, on était trois, Charlotte, Eglantine, des 68 premières fois, et moi.
Ils étaient vingt, avec des questions nulle part notées, aucunement préparées, avec des questions quelque part au fond du crâne, une mitraille de questions.
De ces deux heures à feu nourri, je pourrais te raconter la voix rigolarde de l’un, l’œil vif d’un autre, je pourrais te dire la dégaine fatiguée de celui du fond, avachi sur sa chaise, les idées ailleurs, et l’attention en alerte de son voisin de la rangée de devant, dont on apprit plus tard qu’il était une « célébrité », je pourrais te parler de l’accent de la Martinique, de l’accent du titi parisien, de l’accent édenté, de l’accent cent pour cent Sarthe, je pourrais te parler de celui que les autres ont surnommé « Prof », lunettes sur le nez, cheveux mi-longs coiffés en arrière, humour à fleur de peau, je pourrais te décrire celui qui a derrière lui un parcours d’ancien espoir du football, celui dont on a pigé après coup qu’il avait fréquenté tous les ports du monde, celui qui a fait de la psy et qui a cogné trop fort, trop dur, je pourrais te raconter tout cela, mais tout ne serait que bribes, ambiance tronquée, portraits morcelés. Non. Ce qu’il reste, c’est la mitraille. La mitraille de leurs questions. Parce que pendant deux heures, on a parlé bouquin, écriture, travail et mise à nu.
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Je n’ai pas toujours eu les réponses. Mais eux, ils étaient venus avec leurs points d’interrogation.
« Tous ces personnages, vous les avez inventés ou vous vous êtes inspirés de gens que vous connaissez ? » / « Et vous comptez en faire un film de votre livre ? Ça aiderait à le faire connaître, vous vendriez plus d’exemplaires » / « C’est combien le maximum qu’on peut gagner avec un livre ? » / « Et pourquoi vous n’écririez pas une histoire comme Harry Potter ? On sait que ça marche, ça. » / « Vous vous faites aider pour “étaler” ? Je veux dire des fois dans les livres il y a des descriptions qui durent sur plusieurs pages, on voit bien que c’est seulement pour faire plus gros. Dans ces cas-là, il y a quelqu’un qui vous aide ? » / « Il y a des gens qui se sont reconnus, dans votre livre ? Ils en ont été flattés ? Ou ça les a blessés ? » / « Comment vous décidez du prix du livre ? » / « Avec un titre comme “Boys”, on aurait pu penser à un livre gay, non ? Vous y avez pensé ? » / « Quelles ont été vos influences ? Qu’elles soient musicales, littéraires ou même picturales ? » / « Mais si vous avez été journaliste, pour vous ça a été plus facile d’inventer non ? Vous avez rencontré plein de gens, vous avez déjà connu plein d’histoires. » / « Pourquoi vous venez perdre votre temps avec des prisonniers ? C’est vrai quoi, vous avez sans doute mieux à faire. » / « Vous vous autorisez à faire de la pub pour votre livre ? » / « C’est quoi la différence entre un conte et un roman ? » / « Et c’est quoi la différence entre vous et Agatha Christie ? J’ai beaucoup lu les livres d’Agatha Christie. Vous travaillez pareil ? » / « Quelles ont été les exigences de votre maison d’édition ? » / « Pourquoi vous n’avez pas raconté l’histoire d’une prison ? Tous vos personnages, ils auraient très bien pu vivre dans une prison ! »
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Plus tard, huit d’entre eux sont restés pour un atelier d’écriture autour de cette seule consigne : commencer son texte, d’inspiration libre, par la phrase « C’était mieux avant ». Tous ont écrit, une demi-heure durant. Sur les huit, deux ont refusé de lire à haute voix devant le groupe. Pas question ici de reproduire leurs contributions, là-bas les murs sont trop hauts pour que les mots jouent à saute-mouton. Leur prof a écrit, elle aussi. Églantine a écrit. Charlotte a écrit. J’avais écrit. Voici mon texte. En souvenir de notre rencontre, au début de l’été 2019, avec les détenus de la maison d’arrêt des Croisettes, à Coulaines.
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« C’était mieux avant, la soie de tes doigts, le vent de ton haleine, tes soupirs à défaillir, les mots que tu ne réservais qu’à moi.
C’était mieux avant, c’était mieux toi, l’attache fragile de tes épaules, étroites, adolescentes, si minuscules, c’était mieux tes chevilles, tes hanches, tes cuisses, c’était mieux ton cul que j’empoignais à pleines forces, à pleines mains, c’était mieux tes mouvements de bassin, tes saccades, nos saccades, c’était mieux tes seins à pleine bouche, à pleine langue. Tu te rappelles ? On parlait la même, de langue. Toi et moi, sur une même longueur d’onde. On parlait la même langue… Et moi je dévorais la tienne.
C’était mieux avant, quand nos yeux sans rien dire se racontaient tout, tout et plus encore, et qu’à court de souffle, exsangue, le corps vide de la dernière larme de plaisir, tu plongeais dans l’ailleurs, paupières closes, respiration douce, quand il te tombait dessus, je m’en souviens, le sommeil t’emportait d’un coup et sans bruit.
C’était mieux avant, nos réveils à quatre mains, enchevêtrés, le désir de bon matin, la corrida sous les draps, le feu sous la peau, le café ensuite que je préparais, l’oreiller calé dans ton dos, la tasse que j’avais remplie tenue contre toi, tes cheveux en désordre, enfiévrés, alors je revenais dans le lit, auprès de toi, je te retrouvais et toujours l’on recommençait. Toujours. Toujours. C’était mieux avant. Avant, il y avait toujours un après. »
Texte paru sur le site des 68 Premières fois
A propos de cette rencontre avec les détenus, le texte de Charlotte Milandri sur son blog personnel
Centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville, 28 juillet 2019
Maxéville, voisine de Nancy. C’est le matin, le soleil cuit déjà. J’aime pas. J’aime vraiment pas. Je tolère mal le soleil, la chaleur, je deviens rouge, gras, luisant. Je baigne dans mon jus, autour de moi tout m’apparaît trop lourd, pesant, irrespirable.
De part et d’autre du parking bordé de clôtures électriques menacent deux golgoths vêtus de ciment, barres d’immeubles d’un côté, centre pénitentiaire à l’exact opposé. Des voitures s’installent, en descendent des mères de famille bardées d’enfants pour la plupart. Sitôt la portière ouverte, les petits se précipitent pour avaler l’air du goudron sous les cris dissuasifs des mères occupées à décharger de gros sacs du coffre. Ballet. A quelques mètres se situe l’espace d’accueil des familles, où chacun, j’imagine, patientera dans l’attente du parloir sous le soleil qui grille.
Je glisse un œil dans le rétroviseur. J’ai ma gueule des mauvais jours, je ressemble à l’un de ces types dont il est question dans « Boys ». Sale nuit, trop de rosé-piscine la veille, trop de chardonnay, trop. Comme ça depuis des semaines. Je ne ponds plus rien, que tchi, pas la moindre ligne. Depuis des semaines, j’oscille entre lâchetés alcoolisées et culpabilité.
Je vide mes poches, j’éteins le téléphone, je range mon sac sous le siège passager. Je connais le truc, les règles à respecter. On ne franchit l’enceinte d’une prison qu’après s’être dûment délesté. Seuls mon carnet et un stylo. Qui ne me servent donc à rien actuellement. L’écrivain qui n’écrit pas : je jurerais que c’est inscrit sur mon front. Dans le rôle de l’auteur, je dois inspirer une confiance très relative.
Un mois auparavant j’avais été convié dans une maison d’arrêt, au Mans. Ici, c’est différent. Centre pénitentiaire égale peines longues, je crois. L’ambiance s’en ressent. On dépose nos passeports, on attrape une alarme. On traverse des couloirs, des cours grillagées. Derrière nous, des portes claquent dans un rebond métallique. Aux fenêtres ouvertes de leurs cellules des gars pendus au peu d’air disponible s’interpellent à grand renfort d’invectives, sur fond de musique rap. On dépasse la maison des femmes, on accède au centre socioculturel. Marie-Odile, à l’origine de ma venue, familière des lieux comme les deux bénévoles qui nous accompagnent, les bras encombrés de livres et revues à répartir dans les bibliothèques des différents quartiers, Marie-Odile fait les présentations. On serre des mains polies, certains me reconnaissent, on me donne du « Monsieur Théobald », j’apprendrai que ces derniers jours ont circulé entre ces murs des revues de presse de mon livre et une courte bio de l’auteur invité à rencontrer tous ces mecs, que je rejoins dans une salle à l’étage. Une quinzaine, disposés en arc de cercle. Des habitués. En septembre, ils ont rendez-vous avec Delphine de Vigan. Précédemment, il y a eu Nicolas Mathieu et Marc Lévy. Ils avaient dévoré leurs livres au sein de leur club de lecture. Le mien, pas des masses. On s’en fout. Comme au Mans, les questions déferlent. Des débats s’engagent, on cause du rôle de l’écriture, de l’imagination. On disserte sur le mélange entre fiction et réel. Et puis combien ça gagne un auteur ? Il lui faut longtemps pour accoucher d’un texte ? Est-ce qu’il y a un autre projet sous le coude ? Je suis stressé, empêtré, mes interventions, bordéliques, se perdent en longueur. Je trouille de décevoir, trouille de ne pas être à la hauteur de leurs attentes, trouille de leur faire perdre leur temps – eux qui n’en ont que trop, du temps ; ça ils me le diront ensuite. Au Mans, je m’étais vu nettement plus à l’aise.
A un moment, un type genre catcheur sous protéines, tee-shirt de sport couleur mandarine sur ses épaules à angle droit, calvitie camouflée à grands coups de gel, voix fluette, timbre doux, incongru, s’empare de Boys pour en lire un morceau. C’est l’histoire de Karim. Karim qui couche avec la plus belle nana de l’univers. Karim, cette nouille, qui ne trouve rien de mieux que de balancer « Je t’aime » après cette première nuit entre les cuisses de la fille-plus-que-sublime. Le colosse trébuche sur des mots, se reprend. S’applique. L’extrait semble fonctionner. Quelques rires résonnent, applaudissements. J’ignore son prénom, comme la raison de sa présence ici : tout ce que je sais, c’est que le catcheur vient de me coller les poils.
On le retrouve après le déjeuner, appuyé contre un mur, le bouquin en main. De retour pour l’atelier d’écriture prévu dans cette même salle. On partage quelques banalités, on escalade les escaliers. Pour l’atelier ils sont à nouveau une quinzaine, quelques-uns du matin, d’autres qui rejoignent le groupe, dans une odeur de transpiration prégnante. « C’était mieux avant. » Je propose ça. « C’était mieux avant » pour phrase d’attaque d’un texte d’inspiration libre, arguant du fait que, souvent, « Boys » penche du côté de la mélancolie, si ce n’est d’une possible nostalgie. Enfin je crois.
« C’était mieux avant »… Au Mans, les inscrits s’en étaient donné à cœur joie, concentrés. Là, je ne sais pas comment dire. Après de courtes minutes, des bavardages se font entendre, beaucoup ont déjà levé le stylo. D’un hochement de tête ils signalent que pour eux c’est OK. Leur texte est terminé, point final et tout. « C’était mieux avant », le boulot est fait, rien de plus à ajouter.
On se lit. On s’écoute. On s’applaudit, encore. « C’était mieux avant »… Comme au Mans, les textes se teintent d’amertume, de regrets nullement dissimulés. Après, j’expliquerai que je ne proférais aucune vérité. « C’était mieux avant”, il s’agissait d’une proposition, rien d’autre, une amorce, un point de départ. Pas une orientation. Chacun avec les mots, ses coups de stylo, chacun avait le pouvoir de démonter en pièces l’allégation idiote et stérile.
« C’était mieux avant »… Le catcheur à tee-shirt mandarine ouvre les vannes. En marge de sa contribution, il confie que tous les dimanches il écrit une longue lettre pour l’extérieur. A sa chérie, il relate les événements de la semaine écoulée. Ses élans du cœur. Ses bourrasques intérieures. Le rituel du dimanche n’appartient qu’à lui. « C’était mieux avant »… A la faveur d’un aparté, un autre, qui bricole des textes de rap et de slam dans son coin à l’occasion et qui m’avait demandé de parcourir les feuilles rassemblées dans une chemise cartonnée à la pause de midi, me détaille le pourquoi de sa détention. « Tentative d’assassinat, alors qu’avant j’avais une belle vie. » Au moment de lire devant le groupe, il ne se déballonne pas. Non plus que celui-ci, peau cuivrée, sourire de marmot, strabisme prononcé, dont le propos consiste à se demander à quel moment se situe l’ « avant ». C’est vrai quoi… « Avant »… Mais « avant » quoi ? « Avant » chaque bon moment ? Mais des bons moments, il lance, « des bons moments il y en a toujours ». « Toujours, tout le temps. » Il y en a plein. « Tant et tant. » Alors si c’était mieux avant, rien n’indique que ce ne sera pas encore mieux après. Approbation dans les rangs.
Avec tout ça, on est en train de bâcher « avant » l’heure dite. Il est 15 h 30, on était convenu d’un retour en cellule vers 16 h 30. Il fait chaud dans la salle. Perso, égoïste, je n’aurais rien contre la perspective de m’échapper dès maintenant. Je suis fatigué, mal embouché. J’ai besoin d’un remontant, bien glacé, à 11-12 degrés.
On se disperse.
Poignée de mains. Escaliers, cour, couloirs, grilles métalliques. Parking surchauffé. Barres d’immeubles droit devant.
Je reprends le volant et la lumière en pleine poire. Sur l’autoroute défilent des bribes de la journée. Leurs mots. Leurs traits. Leurs attentions. Leur attention. Leur investissement.
Et puis cet échange.
Survenu en plein exercice, alors que je m’étais rapproché d’un participant en panne sèche devant sa feuille blanche, immaculée.
– On fait comment pour écrire ?
La question le brûlait.
– C’est-à-dire ?
Il avait réfléchi.
– Je ne sais pas. Disons que j’ai des histoires, moi… Mais je n’ai pas le talent pour les raconter. Pour écrire, il faut du talent non ?
Du talent ? Non, il faut y aller.
C’est tout.
Y a pas de recette, aucun miracle à espérer. Faut y aller.
En gros j’avais répondu ça.
Il avait balayé l’argument.
– Mais non. Sans talent, ça ne sert à rien.
J’avais tenté une question, à mon tour.
– Vous faites du sport ?
– Du foot, ouais.
– Vous avez joué jusqu’à quel niveau ?
– Oh ! tout petit. Tout petit niveau…
– Parce que vous n’aviez pas le talent ?
– …
– Et malgré tout vous avez continué à jouer au foot, je me trompe ?
– …
On s’était marré.
– Yes, yes… il avait soufflé. Ça va, message compris.
Au soir, j’y repense.
J’ouvre les fenêtres du studio, j’ouvre le robinet de la douche. Je n’ouvre aucune bouteille. J’ouvre le capot de l’ordinateur. « Faut y aller… » Au soir, j’y vais. Pour la première fois depuis une éternité, j’y retourne, j’y vais. Sans le savoir, le gars de Maxéville vient de tout débloquer.
Centre pénitentiaire de Metz-Queuleu, janvier 2020
«Y a des gens bien et y a les autres. En somme, ici c’est une ville comme une autre vous savez… » Oui je sais. C’est pas la première fois que je viens. Enfin si, ici spécifiquement, c’est la première fois. Queuleu, sa maison d’arrêt, c’est la première fois. Mais j’ai fait deux autres prisons plus tôt. J’ai déjà rencontré des détenus. On a discuté, on a fait les coqs, on s’est jaugés, on a fait les cons, on s’est vannés. Alors je sais. J’ai vu. J’ai remarqué. Qu’on est pareils. Que rien ne nous sépare. Ici ou au-dehors, « on a la vie qu’on se fait ». C’est un autre qui dit ça. Et qui le redira. Même pour faire le malin, qu’est-ce que je peux rétorquer ?
Oui je sais. Non je ne sais pas. Je ne sais rien. Perso, tout à l’heure je rentrerai chez moi. Comment je pourrais savoir ?
C’est la troisième fois et je ne m’habitue pas. En prison faut aimer les portes. Il n’y a que ça, des portes. Des portes partout, tout le temps, après chaque pas, des portes de différents modèles, des portes normales, comme chez vous et chez moi, des portes que je suppose blindées, des portes pleines de barreaux, des portes intérieures aussi, sans doute, et c’est celles-là qu’on a le plus envie d’entrouvrir. « Les gars, parlez-moi de vous… »
Mais non. C’est toi qu’ils sont venus écouter.
Il y en a un qui dans un classeur bleu plastifié d’écolier prend des notes tout du long. C’est pour un article qu’il entend proposer au journal interne, il m’annonce. Il écrit lui aussi. De la poésie ainsi qu’un roman entamé il y a deux mois qui tient dans deux cahiers de 96 pages noircis à la main. Il écrit mais il ne lit pas, paradoxe dont il s’étonne. Il ne lit pas mais depuis peu il s’est plongé dans la Bible, paradoxe dont il s’étonne. Dans son classeur, en plus des notes, sont rangés ses cours, les devoirs rendus ici et ses poèmes, tous écrits « d’une traite”, sans respirer. Sa calligraphie est tout en courbes et en boucles d’élève appliqué. Le style, tourmenté. « C’est sombre n’est-ce pas ? » Il me donne à parcourir. C’est sombre, en effet.
Il fait froid dans la salle, un radiateur d’appoint n’y suffit pas. C’est con, la veille le soleil était là, il réchauffait l’ambiance derrière les baies simple vitrage. De l’autre côté de la vitre se disputent barbelés et ciel bouchonné. Dans l’herbe d’hiver, quelques ballons de football orange échoués là, pour certains éventrés.
Il y a ceux qui ont lu Boys, ceux qui l’ont commencé, ceux qui pas encore et ceux qui jamais. Il y en a un qui n’aime pas la couverture, un autre que l’histoire de Léon a touché. Séverine en donne la lecture, à haute voix. Elle assure, Séverine. Le type dit pourquoi ça le touche. Parce que l’amour ça peut vous prendre par le colbac à tout âge. Lui, il aime. Actuellement, il aime. Et pas qu’un peu. Pour Noël, sa compagne lui a fait parvenir un colis de 5 kilos, le maxi autorisé pour l’occasion. Dans la donation, y avait du petit salé. « Pendant deux jours j’en ai mangé. » Le gars t’en parle avec les oreilles qui fument encore et des yeux couleur lentilles, blondies à point. « Pendant deux jours… L’odeur du petit salé… C’était l’odeur de ma petite femme. »
Le même, à un moment, embraye sur ce que je raconte d’une rencontre organisée en librairie, à Saint-Dié. Librairie… Saint-Dié… Ces indices rassemblés, Columbo déduit : « La librairie Le Neuf ? » Bingo. Le Neuf, ouais. Plus d’une fois il y a passé des heures. C’était quelque chose d’aller là-bas, il nous fait comprendre. C’était. À l’imparfait.
C’était.
Tout n’est que bienveillance en vérité. On me demande s’il y a une recette pour écrire, je me perds dans une explication mal fagotée selon laquelle s’il y en avait une j’aimerais bien la dégoter, ce serait un peu de tranquillité de gagnée. « Pour tout vous dire, j’ai bien peur d’être un imposteur… » Et un jour viendra où je serai démasqué. Mais d’où vient l’imagination ? « Je ne sais pas. Je pars d’une situation. Et après… » Et après, quoi ? Après, rien. « Oui. Vous parlez d’amour. Ce truc à l’intérieur de nous. » Voilà. À l’intérieur. Tout au fond. L’intérieur, ils connaissent.
Un surveillant a passé une tête. Appelons-le Claude. Claude a lu et apprécié Boys. Il m’entreprend : « Pourquoi il n’y a pas de fin ? –– Comment ça il n’y a pas de fin ? –– Il n’y a pas de fin parce qu’il pourrait y avoir une suite. Moi je veux connaître la suite. –– Une suite ? –– Boys 2, en quelque sorte. Savoir ce qu’ils deviennent, tous ces personnages. » Imagine un regard de loutre sous Tranxène surdosé. Tu y es ? Bien, tu as une idée assez précise de ma réactivité sur le moment.
Je ne sais pas, moi.
Je ne sais pas. Ce qu’ils deviennent, je ne sais pas. Me suis pas posé la question. Ils vivent. Ils continuent. Ils essaient. Ils se démerdent. C’est leur problème.
« On a la vie qu’on se fait », et voilà tout.